Skoura du Théâtre régional de Souk Ahras : Un réquisitoire contre l’hypocrisie sociale

« Skoura » est la nouvelle pièce du Théâtre régional de Souk Ahras, présentée en compétition  jeudi 18 mars, à l’occasion du 14ème Festival national du théâtre professionnel(FNTP).

Sur un texte de « La reine » du romancier Amin Zaoui, la pièce, adaptée par Meliani Moulay Mohamed Mourad et mise en scène par Ali Djebara, retrace l’histoire de Skoura, une femme divorcée, qui noue, au mépris de sa belle famille et de la société, une relation amoureuse avec un Chinois qui a pris le surnom de Younes. Et de cette liaison, elle va avoir un enfant, une nouvelle qu’elle annonce à tout le monde, fièrement, avec audace et une certaine arrogance, comme si elle cherchait à provoquer ce monde qui la juge et qui la condamne.  
Sa belle-mère, l’incarnation d’une société repliée sur elle-même, régentée par les us  et coutumes, stériles et stéréotypées, lui reproche son comportement et  réprouve l’amour qu’elle porte pour un étranger, d’autant plus qu’il s’agit d’un Chinois.  La belle-mère n’admet pas que Skoura ait quitté son fils ; elle ne l’admet pas surtout vis-à-vis la société et son regard rempli de préjugés. Pour elle, Skoura a jeté l’opprobre sur sa famille, puisque tout le monde en parle et en fait l’objet de commérages.  La belle-mère ne supporte pas l’idée d’une telle union à tel point qu’elle n’hésite pas à monnayer les services de sa servante et d’autres personnes en contrepartie de lui rapporter des détails sur les agissements de Skoura.

Victime expiatoire

En divorçant de son mari, Skoura se libère d’un homme qu’elle n’aime plus et avec qui elle se sentait prisonnière, sans considération ; elle s’affranchit  de  l’emprise de sa belle-mère, celle qui édicte à son fils la manière d’agir en couple et  lui définit les rapports qu’il devrait avoir avec sa femme ; elle se défait de la société qui la brime.   Elle se dépêtre de sa personne pour pouvoir la vivre pleinement en tant que femme, elle libère son corps longtemps refoulé et bafoué pour pouvoir le laisser s’exprimer en tant qu’entité  lui appartenant, dans lequel elle est souveraine, en lui donnant cette liberté de se mouvoir et de se comporter sans coercitions dans une société sclérosée et qu’il lui refuse le droit à l’existence en tant que femme à part entière avec ses choix et ses considérations, ses émotions et ses prises de positions

Tempérament déterminé

Skoura nargue la société, et avec son tempérament déterminé et son caractère réfractaire, elle s’en va, le dos tourné à ce monde qui la juge gratuitement, mener sa vie comme cela lui semble et surtout d’aimer qui elle veut. Car ce n’est pas à la société de lui imposer un modèle d’existence, c’est-à-dire la façon par laquelle elle doit être, mais c’est à elle, en tant qu’individu qui pense et qui ressent, d’en décider.     L’action de la pièce, qui est beaucoup plus basée sur la narration que sur le dialogue, se déroule dans une scénographie simple, uniforme, immuable ; en dépit de sa sobriété, elle nous renseigne toutefois sur le lieu où se déroulent les événements : une morgue, là où la dépouille d’un Chinois est entreposée. Younes est accusé de l’avoir assassiné.

Tenir tête à la société et son archaïsme

La pièce est un drame marqué, ici et là, par des parenthèses contenant de l’humour dans le but d’alléger l’intensité dramaturgique et permettre au public de souffler, de décompresser.  Rythmée par un jeu sans encombre, où les comédiens sont à l’aise dans leur personnage, la pièce aborde la condition de la femme dans une société  accrochée à des principes archaïques, et  tout à fait convaincue par cet attachement auquel, comme s’il s’agissait d’un contrat par lequel,  elle s’est liée, entretient, et ce, à travers  Skoura et  aussi à travers Hafida, la servante, qui est victime du  terrorisme, puisqu’elle a été  kidnappée dans sa jeunesse, violée et qu’elle a abandonné, sous la pression de la société, son enfant dont elle ignore maintenant où il se trouve- la pièce est un rappel à la décennie noire-. La condition de la femme est également traitée à travers la belle-mère qui est finalement à ne pas blâmer, puisqu’elle, elle même, une victime de la société qui ne lui a pas laissé trop le choix que de renoncer à ses aspirations personnelles, à ses rêves… Elle n’a pas eu le courage, contrairement à Skoura, de tenir tête au poids de la société sous laquelle elle ploie.

Débat public sur la pièce Skoura

L’apport du roman au théâtre souligné

Le débat, qui a suivi la présentation de la pièce « Skoura » du Théâtre régional de Souk Ahras, jeudi 18 mars, a notamment abordé l’adaptation du roman au théâtre.

«L’adaptation du roman au théâtre est une tendance davantage pratiquée ; cela se fait de plus en plus. Et c’est une très bonne chose ; c’est une expérience enrichissante qui nourrit le théâtre et lui donne une dynamique marquante», a relevé Mohamed Boukeras, universitaire et critique d’art dramatique et actuel directeur de l’Institut supérieur des métiers des arts de spectacle et de l’audiovisuel (ISMAS).

La scénographie critiquée

«Adapter un roman d’Amin Zaoui est, dans un premier temps, un hommage rendu à l’auteur, et, dans un deuxième temps, une manière de fructifier le théâtre et de le faire progresser vers de nouvelles expériences », a-t-il ajouté relevant que “le souffle romanesque” est omniprésent dans la pièce. « La force et  le caractère du roman sont intensément présents sur scène », a-t-il dit.  S’il a apprécié la pièce, le jeu et l’interprétation, il a, toutefois, déploré la scénographique qui était, selon lui, défaillante.  
« J’ai travaillé selon les moyens du bord ». « La scénographie était sommaire, statique et figée, elle n’a pas servi la mise en scène, elle n’a pas accompagné la pièce, elle n’a pas soutenu le jeu », a souligné Mohamed Boukeras.

“Le temps d’un éclat de rire”

De son côté, Ali Djebara, le metteur en scène, a expliqué vouloir  donner une plus grande importance au texte. « Je voulais évoquer la condition de la femme, notamment les femmes divorcées qui, dans notre société, sont mal vues. Pourquoi indique-t-on du doigt la femme, alors que l’homme a ses défauts », a-t-il relevé.   Interrogé sur les conditions de travail, Ali Djebara a déclaré : « J’ai travaillé dans des conditions très difficiles. L’enveloppe budgétaire  ne  m’a pas permis  de développer la pièce comme je le souhaitais. Cela explique l’insuffisance de  la scénographie. J’ai travaillé selon les moyens du bord. ».  La pièce est tragique, mais elle est traversée de parenthèses contenant de l’humour. A ce propos, Ali Djebara a dit : « Pourquoi l’humour, c’est parce que la pièce est d’une ampleur dramaturgique  telle que j’ai voulu l’assouplir pour créer des moments de répit, de décontraction ; c’est juste pour divertir le public le temps d’un éclat de rire».

“Théâtraliser des questions philosophiques”

« La pièce montre, d’une part, comment mettre en scène un texte narratif, donc un roman, et, d’autre part, de quelle façon peut-on théâtraliser des questions philosophiques, tels que le respect pour le travail qui anoblit  l’homme et  le rend, socialement parlant, responsable ;  la liberté individuelle qui rend l’homme garant  de  sa  personne, de  sa vie, de son avenir, et comment défendre  cette liberté et ne pas la confondre avec la liberté collective”, a souligné Amin Zaoui, auteur du roman, adapté à la scène. “Qu’est-ce qu’on doit interdire et qu’est-ce qu’on doit tolérer sans qu’il y ait atteinte aux libertés individuelles ou causer des préjudices aux libertés collectives. La pièce matérialise divers sujets et problèmes qui caractérisent notre société. », a-t-il poursuivi . « J’ai apprécié le jeu que j’ai trouvé étonnant. J’ai  aimé l’interprétation des comédiens qui ont su représenter leur personnage sur les planches. », a noté Amin Zaoui.

Yacine Idjer

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