La pièce Istiraht al Mouharidjine

Quand la cruauté se cache derrière des masques joyeux

Fidèle à sa réputation, le théâtre régional  Mohamed Tahar Fergani de Constantine (TRC), a su drainer un public nombreux à la troisième soirée de la 16ème édition du Festival national du théâtre professionnel d’Alger ((FNTP), avec la présentation de la pièce “Istiraht el Mouharidjine” (le repos des clowns).
Les performances des comédiens, notamment Mourad Filali, Ahmed Hamsas, Oussama Tlilani, Nabil Messahel, Rym Benzeggouta, Rami Mentouri, Rafik Belhamadi, et Abdelhamid Litim, sont à la fois ravissantes et dérangeantes.  Le public est transporté dans un tourbillon d’émotions, oscillant entre une monotonie à dessein et un malaise provoqué par la violence des scènes.
Produite par le TRC, cette œuvre, adaptée de l’œuvre éponyme de Noureddine Abba, plonge les spectateurs au cœur d’un psychodrame qui se déroule durant la guerre de libération nationale algérienne. Un groupe de parachutistes se transforme en clowns pour préparer un spectacle. Cependant, lors des répétitions, un Algérien est arrêté et présenté devant eux, soupçonné d’avoir posé une bombe. C’est la fin de la base blanche du spectacle. La pièce prend alors un tournant sombre, explorant la dualité entre l’apparence joyeuse des clowns et la violence brutale des tortionnaires.
La mise en scène, dirigée par Wahid Achour, est remarquable dans sa capacité à créer une atmosphère contrastée. L’ouverture de la pièce, avec des clowns dansant et chantant, évoque la légèreté apparente du divertissement. Cependant, l’arrivée du prisonnier entraîne une métamorphose brutale, révélant la véritable nature des militaires coloniaux : des tortionnaires impitoyables dépourvus d’empathie.
La pièce excelle à dépeindre l’horreur des salles de torture. L’éclairage habilement opéré par Bassem Boukabousse intensifie le psychodrame, soulignant la capacité humaine à se transformer en monstre dans des circonstances extrêmes. Les personnages, révélés au fil des actes, Soso “l’étouffoir”, ses subordonnés Louis et Manuel, ont tous une enfance douloureuse, explorant ainsi les origines du mal être. De vrais psychopathes qui, à travers leurs actes cruels, démontrent un cynisme déroutant, trouvant du plaisir dans la souffrance infligée à leur victime.
L’auteur met en avant un fabricant de bombes, Rachid surnommé Red Sun, qui se laisse volontairement capturer pour introduire une bombe dans le lieu de détention, n’est pas le personnage central de l’intrigue. Une française, membre de cette troupe de clowns, Francine, refuse les atrocités de ses collègues et  témoigne de l’horreur de la maltraitance et de la résilience du résistant. La pièce qui se déroule, selon le texte de Abba, sur la scène d’un théâtre n’as pas eu recours à un grand travail de scénographie. La musique adéquate de Mounir Kabouche et l’éclairage ont rehaussé le jeu de scène des acteurs.
Spectacle long et monotone, selon les critiques
Dans le débat qui a suivi la pièce, au niveau de l’espace M’Hamed Benguettaf, les critiques ont tous focalisé sur la monotonie du spectacle, la longueur de la pièce et ses personnages statiques.
Le modérateur du débat, le critique Abdelacer  Khellaf, a pour sa part, relevé « la neutralité des expressions des acteurs dont les visages étaient d’ailleurs totalement masqués par le maquillage de clowns». Yassine Slimani, critique du théâtre de l’université d’Oran, a, lui, défendu la pièce du TRC en rappelant que « toute critique est subjective en art » et que  le seul reproche qu’il pouvait adresser à la pièce était sa la longue durée de la pièce “qui aurait pu être réduite de 90 minute à 60».
Wahid Achour défend  ses choix artistiques
Le metteur en scène, Wahid Achour, qui a confié que ce spectacle l’avait « vidé » de toute son énergie, s’est défendu habilement contre les reproches faites à « Istiraht al mouhaidjine».
Pour lui, le texte de Noureddine Aba n’est pas un «texte ordinaire». Il s’agit, souligne encore Wahid Achour , d’un texte difficile et complexe. “Il n’est pas donné à n’importe qui d’en faire un spectacle», a-t-il dit. Pour lui, l’expression des visages n’avait aucune importance dans cette pièce au regard de l’extrémisme des personnages.  
Il a rappelé à l’auditoire que l’objet du spectacle n’était pas l’algérien mais plutôt l’autre «  ce français criminel, soldat et citoyens à la fois». Des personnages « insaisissables » pour lesquels il a choisi cette approche monotone. «La monotonie c’est aussi de l’art », ajoute-t-il en soulignant que sans avoir montré longuement la face blanche, le spectateur n’aurait pas saisi le noir du sadisme ni le contraste.  Finalement, “Istirahat al Mouharidjine” offre une réflexion profonde sur la nature humaine, les choix moraux et les conséquences de l’engagement idéologique.

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